Lettre de Janick Magne
aux députés français ce jour
(envoyée à chacun d’eux sur leur
e-mail de l’Assemblée)
De Tokyo, Japon, le 30 mai 2013
Mesdames et Messieurs les députés,
Je
vous écris du Japon, je viens d’apprendre qu’un débat au sein de
l’Assemblée Nationale, ce soir, fera enfin sortir de l’ombre la
douloureuse question du nucléaire. Vous allez notamment évoquer
l’accident de Fukushima. Je vous dis MERCI d’aborder enfin ce que nous
savons tous ici, au Japon, mais que personne ne veut entendre en France.
Laissez-moi rêver et espérer un peu : je vais vous parler du Japon en
quelques lignes et je souhaite que vous lisiez ce message avant votre
première réunion….
Oui, la situation à Fukushima
est terrifiante. Non, nous ne voyons pas d’issue. Chaque jour, ce sont
400 tonnes d’eau souterraine qui pénètrent dans les soubassements de la
centrale accidentée de Fukushima-1 et viennent se contaminer au contact
de l’eau de refroidissement des trois réacteurs dont les coeurs ont
fondu et desquels personne ne peut approcher, tant la radioactivité y
est importante. L’eau souterraine pénètre aussi dans le bâtiment des
turbines. Jour après jour, des ouvriers pompent cette eau, la filtrent
en partie – bien insuffisamment car il n’existe aucun moyen de se
débarrasser de la plus grande partie des quelque 120 radionucléides
qu’elle contient – et la conservent ensuite dans des réservoirs et des
citernes provisoires. Le site ne pourra bientôt plus accueillir de
nouvelles citernes et l’eau est beaucoup trop radioactive pour être
rejetée dans l’océan où la pollution radioactive atteint déjà des
records.
Il y a un peu plus de 2 semaines, le 13 mai, l’électricien nucléaire japonais TEPCO a rencontré à Fukushima les représentants des coopératives de pêche locales.
Ils
voulaient convaincre les pêcheurs que la dernière trouvaille de TEPCO
était la bonne: récupérer dans 12 puits en amont de la centrale le quart
environ des eaux souterraines (soit 100 tonnes/jour) et déverser cette
eau dans l’océan. Ainsi, il n’y aurait « plus que » 300 tonnes d’eau
souterraine par jour qui viendraient se contaminer au contact des
réacteurs.
TEPCO croyait acquis
l’accord des pêcheurs, mais ceux-ci n’ont pas marché dans la combine :
ils viennent de refuser, ils demandent un temps de réflexion
supplémentaire, car TEPCO leur a tellement menti, TEPCO a tellement
manipulé les chiffres et nié la gravité de la catastrophe qu’il est
IMPOSSIBLE de les croire aujourd’hui. Les pêcheurs se demandent à quelle
sauce TEPCO va encore les manger. Nous nous demandons TOUS ici à quelle
sauce nous allons être mangés, mais ce sera une sauce au césium, bien
évidemment.
Plusieurs ingénieurs de la
centrale de Fukushima l’ont déclaré à la presse ces dernières semaines:
ils sont incapables de prévoir ce qui va se passer demain, la semaine
prochaine, le mois prochain. Toute leur énergie se concentre sur ce
problème des 390 000 tonnes d’eau déjà stockées sur le site et des 400
tonnes journalières supplémentaires. Ils essaient juste d’avoir une
heure d’avance sur l’eau, rien qu’une petite heure à la fois. L’un
d’entre eux l’a dit : « S’il se produisait un nouvel accident (et
comment ne pas y penser, dans l’état où se trouve le site, et alors que
les secousses sismiques se poursuivent et se répètent inéluctablement
?), s’il se produisait un accident, donc, NOUS NE POURRIONS PAS Y FAIRE
FACE. » J’ai envie de crier AU SECOURS ! Qui, mais qui sera enfin assez
sensé pour intervenir ici au Japon, pour stopper ce massacre en
préparation, pour freiner la course folle du Japon vers la reprise du
nucléaire alors que nous avons cette épée de Damoclès au-dessus de nos
têtes ? Le gouvernement japonais est dans le déni. La population se sent
impuissante et préfère, trop souvent, feindre de croire le discours
officiel.
Et pourtant, savez-vous que
nous attendons pour la fin juin une livraison de MOX français à
destination d’une centrale arrêtée depuis février 2012, sur la côte
ouest du Japon, à Takahama ? C’est peut-être moi qui vais vous
l’apprendre, Mesdames et Messieurs les députés, mais le Japon ne
fonctionne plus actuellement qu’avec 2 réacteurs nucléaires sur 48 (je
ne compte pas les 6 réacteurs de Fukushima-1, dont 4 sont hors service
pour les raisons que vous connaissez, et les 2 autres ont été
abandonnés). Le saviez-vous ? Entre mai et début juillet 2012, PAS UN
SEUL réacteur n’a fonctionné dans le pays. Nous avons vu les réacteurs
s’arrêter un par un entre la date de la catastrophe (11 mars 2011) et
mai 2012, soit en raison d’incidents soit pour des opérations de
maintenance. Personne n’a ensuite eu l’audace de les remettre en marche
jusqu’à ce jour de début juillet 2012, où, passant outre le sentiment
profondément antinucléaire de la population, les autorités ont fait du
forcing et redémarré 2 réacteurs à la centrale d’Ôi, arrêtant du même
coup une centrale thermique à proximité (car, oui, il y avait
suffisamment d’électricité !). Depuis bientôt un an, ce sont les deux
seuls réacteurs en service dans le pays.
À l’heure où il faudrait tout
tenter pour arrêter cette folie et trouver une solution d’urgence, le
gouvernement japonais encourage les gens à revenir dans la zone
d’exclusion qui, jusqu’au 31 mars 2013, s’étendait sur 10 à 20 km en
demi-arc de cercle autour de la centrale accidentée : qui voudrait
revenir à deux pas d’une centrale incontrôlable, à deux pas de trois
réacteurs éventrés dont on ne sait même pas où se trouve le combustible,
à deux pas de ces gigantesques masses d’eau contaminée dans des
citernes dont personne ne sait combien de temps elles tiendront, à deux
pas d’un site qui contient 2000 tonnes de combustibles usés répartis
dans des piscines de désactivation instables, certaines au sommet de
bâtiments qui ont explosé, et alors qu’il est devenu si difficile de
trouver du personnel que TEPCO recrute au Brésil et emploie des SDF ?
Aujourd’hui, 11 villes de
l’ancienne zone d’exclusion ont été partagées en trois nouvelles zones
qui s’enchevêtrent inextricablement : une zone toujours interdite car la
radioactivité y dépasse les 50 millisieverts par an, une zone
intermédiaire où l’on a bien imprudemment promis aux habitants qu’ils
pourraient revenir s’installer d’ici 3 ans, et dont la radioactivité se
situe entre 20 et 50 millisieverts/an, et une zone « de préparation au
retour » où la radioactivité peut monter jusqu’à 20 millisieverts/an.
Pour rappel, sachez que la dose maximale autorisée pour les travailleurs
du nucléaire en France est de 20 millisieverts/an et que la norme
internationale pour la population civile est de 1 millisievert par an,
comme vient de le rappeler la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU.
La nouvelle Autorité de
Sûreté Nucléaire japonaise vient coup sur coup d’exiger l’interdiction
de reprise d’activité de plusieurs centrales en raison de fausses
déclarations de contrôles qui n’ont jamais eu lieu et parce que de très
nombreux réacteurs sont situés sur des failles sismiques actives.
Mesdames et Messieurs les députés, il faut arrêter le massacre. Il faut que vous arriviez à convaincre M. Hollande que le nucléaire n’est PAS une option. Nous allons en crever. Vite, vite, faisons quelque chose ! Si vous le voulez, utilisez mon expérience de Française au Japon qui vit tout cela en direct, utilisez mon témoignage pour porter enfin un message que personne ne voulait entendre jusqu’à maintenant et dont dépend pourtant notre survie à tous.
Mesdames et Messieurs les députés, il faut arrêter le massacre. Il faut que vous arriviez à convaincre M. Hollande que le nucléaire n’est PAS une option. Nous allons en crever. Vite, vite, faisons quelque chose ! Si vous le voulez, utilisez mon expérience de Française au Japon qui vit tout cela en direct, utilisez mon témoignage pour porter enfin un message que personne ne voulait entendre jusqu’à maintenant et dont dépend pourtant notre survie à tous.
Je me souviens d’une
conversation que j’ai eue à Tokyo avec Monsieur le Ministre des Affaires
étrangères Laurent Fabius fin 2012 : il m’a dit qu’il avait toujours
cru « comme tout le monde » qu’il était impossible d’arrêter le
nucléaire du jour au lendemain …jusqu’au jour où il y a eu Fukushima et
que le Japon a tout arrêté. Oui, quasiment du jour au lendemain, le
nucléaire s’est arrêté au Japon ! Avec 54 réacteurs à l’origine, contre
58 en France…
Merci d’y réfléchir. MERCI
pour nous tous, au Japon et dans le monde (l’hémisphère Nord pourra être
lourdement touché en cas de nouvelle catastrophe au Japon), MERCI pour
les générations à venir.
Je suis allée plusieurs fois
dans la zone interdite de Fukushima. J’en rapporte des conférences et
des photos. Je le fais pour témoigner, pour montrer où nous mène la
folie des hommes et l’arrogance de certains, plus animés par le goût du
profit immédiat que par le souci du devenir humain.
Mesdames et Messieurs les
députés, merci de m’avoir lue. Je serai 6 jours en France du 7 au 13
juin, je viens témoigner dans trois conférences de la situation à
Fukushima. Si vous voulez me rencontrer cette fois-ci ou à une autre
occasion (je serai de nouveau en France de début août au 20 septembre
environ), n’hésitez pas à me contacter, je serai heureuse de témoigner,
comme j’ai promis à mes amis japonais de la zone interdite de le faire
sans répit.
Salutations républicaines,
Janick MAGNE
Janick MAGNE
janickmagne@gmail.com
Enseignante d’université à Tokyo,
Au Japon depuis 34 ans
Candidate EELV aux Législatives 2012 dans la 11ème circonscription des Français hors de France
Enseignante d’université à Tokyo,
Au Japon depuis 34 ans
Candidate EELV aux Législatives 2012 dans la 11ème circonscription des Français hors de France
Merci à Janick de se dévouer pour nous transmettre des nouvelles très régulièrement.
Vous pouvez vous procurer la vidéo de son intervention à Cahors de l'an dernier, où elle nous expliquait la situation au Japon, suite à ce terrible accident nucléaire.
Vidéo, et enregistrement audio disponible auprès du groupe MCLSDN :
06 81 95 29 19
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire